[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] C'était épuisant, de fuir son passé tout en faisant croire que l'on se battait dur contre lui. C'était épuisant, de vivre, de sourire, de lutter. De faire comme si tout allait bien, comme si les notes étaient parfaitement alignées alors qu'elles n'existaient même pas. Elles avaient disparu depuis quelques années, et Aoki n'était pas allé les rechercher. Il les avait laissées là où elles étaient, sur ce sol froid dans cette pièce sombre dans cette ville inconnue. Il les avait laissées là-bas, dans la maison de son enfance, éparpillées sur le sol de sa chambre dans un désastre absolu. C'était épuisant d'être là alors qu'il voudrait être ailleurs. Il voudrait être loin, tellement loin, que plus rien ni plus personne ne pourrait l'atteindre. Il voudrait être tellement loin, et c'était comme si on l'avait arraché à ce Paradis qu'il avait tant convoité. Comme si on refusait de le laisser entrer. La vie ici n'avait rien de normal ou de classique. C'était l'Enfer. Le vrai, le pur, le dur. L'Enfer, avec ses flammes écrasantes et brûlantes. L'Enfer, avec ces pleurs et ces cris. Il voulait fuir cet Enfer. Il voulait partir de là. Il avait essayé, ça avait raté et quelque part, il se disait que c'était sa punition. Être là, respirer, vivre, survivre, c'était sa punition pour avoir raté.
Chaque inspiration devenait un vrai supplice. Chaque expiration lui rongeait l'être. Il devrait être heureux d'être en vie, qu'on lui dirait. Il devrait être heureux de pouvoir respirer, de pouvoir marcher, de pouvoir rire. Mais il ne l'était pas, heureux. Le serait-il un jour ?

La première réponse qui lui venait à l'esprit était non. Non, il ne serait jamais heureux. Il ne sera jamais tranquille non plus. Son réveil fut catastrophique, tout comme sa nuit. Ses paupières se levèrent d'un seul coup, sa respiration redoublant de vitesse alors qu'un son confus et apeuré s'empara de sa bouche. Ce ne fut qu'après avoir vérifié ses alentours qu'il se calma petit à petit. Il se traîna hors du lit, avançant jusqu'à la cuisine comme s'il portait le poids du monde sur ses épaules. Apparemment, il devait faire peur à voir, vu la tête de Ryota. Il se força à sourire, cachant ses traits fatigués, justifiant tout ceci par le travail. Cependant, il les voyait dans les pupilles de son aîné. Les questions, la compassion, l'inquiétude... Il les discernait, et très honnêtement, il n'était pas d'humeur pour tout ça. Il n'avait pas envie de répondre à des questions. Il n'avait pas envie de mentir, non plus. Alors il s'efforça de sourire un peu plus durant le petit-déjeuner. Il s'efforça de rire et de raconter tout et n'importe quoi durant les minutes suivantes. Il s'efforça au maximum, évitant tout ce que Ryota voulait lui dire et lui demander.

Il s'efforça, jusqu'à ce qu'il quitte l'appartement, souhaitant une bonne journée à son aîné. Il traîna, erra, marcha, avança et recula. Et il entra dans le supermarché pour espérer se changer les idées – et aussi parce qu'il avait horriblement envie de manger des pommes.
Au lieu de se rendre directement au rayon voulu, il alla dans chaque rayon, contemplant les produits disposés devant lui dans un air distrait mais intéressé. Tournant dans un nouveau rayon, il laissa un bruit de surprise lui échappait en reconnaissant une silhouette connue un peu plus loin. Se tournant sur lui-même sous l'effet de l'inattendu, il cogna dans quelques boîtes de céréales qui traînaient par là, les rattrapant de justesse dans un soupir soulagé à peine contenu. Il n'osa pas relever le regard cependant. Pas qu'il n'avait pas envie de voir Je Ha, non, loin de là cette idée. Juste... que ce n'était pas le moment – en plus de ça il avait une tête horrible à cause de sa mauvaise nuit et il devait faire peur à voir et il n'était pas sûr de pouvoir avoir une bonne conversation de si bon matin – comment ça, il était plus de quatorze heures ?
Il se racla la gorge, redressant maladroitement le visage, offrant un sourire perturbé à Je Ha. Aoki était toujours en train d'apprendre ce que c'était, la discrétion. Il agita timidement sa main et après quelques secondes à ne rien faire, il passa dans le rayon suivant.
Rayon suivant dans lequel il regretta un peu plus sa vie.

[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] Quand on le voyait, Aoki, on apercevait d'abord le gamin qui était resté debout. Le gamin qui traînait dans ce corps d'adulte. On voyait cette âme un peu trop innocente, un peu trop naïve. On observait son sourire, et la petite étincelle qui brillait dans ses yeux. On la définissait pas, on n'y arrivait pas vraiment, on savait juste qu'elle était là et on s'en contentait. On la voyait comme quelque chose de positif, alors qu'elle pouvait bien représenter le contraire. Quand on voyait Aoki, on voyait l'homme, l'infirmier, le maladroit du coin. On voyait juste son apparence. On s'en contentait, et ça suffisait pour dire qu'il n'avait pas trop l'air malheureux. On s'en contentait. On ne cherchait pas plus loin – et c'était normal. Il n'était pas le seul à tout cacher. Il n'était pas le seul à sourire même si l'esquisse à ses lèvres ne voulait pas forcément dire quelque chose. Il n'était pas le seul, il le savait et les autres aussi. Sauf que, quelque part, on ne s'en doutait pas de tout ça. On ne se doutait pas de toutes ces choses qui tiraillaient son esprit. On ne se doutait pas de son passé, de son vécu. On n'imaginait même pas les marques à ses poignets. Pourtant elles étaient là. Claires, nettes, visibles. Il les masquait comme il le pouvait, mais elles se faisaient malignes parfois et pointaient le bout de leur nez. Il n'en était pas fier. Pas parce qu'il avait tenté, pas parce qu'il avait voulu en finir, pas parce qu'il avait préféré choisir cette voie plutôt qu'une autre. Non. Il avait honte, parce qu'il avait raté. Il avait clairement foiré là où il aurait voulu réussir et ça le faisait angoisser de montrer aux autres les traces de cet échec. Je Ha les avait vues, ces marques. Il n'avait pas jugé. Il ne s'était pas lancé dans un discours interminable sur la vie, à quoi elle pouvait être belle et colorée. Il ne s'était pas arrêté sur leur provenance. Il les avait simplement acceptées.

Hors c'était un peu bouleversant pour lui. C'était un peu « trop », quelque part. Il n'avait montré ces marques à personne. Il les cachait même devant Ryota. Pour éviter de le faire culpabiliser, pour éviter de lui reparler que son petit frère avait préféré choisir la mort plutôt que la vie. Même lui faisait en sorte de ne pas trop les regarder, histoire de ne pas se rappeler pourquoi elles étaient là. C'était une partie intime de lui. Une partie qu'il souhaitait à tout prix garder caché. Une partie que personne n'aurait dû voir. Mais Je Ha les avait vues. Et après réflexion, c'était un peu comme s'il s'était entièrement dévoilé devant le croupier. Sans masque, sans faux semblants, sans sourires forcés et sans paroles en l'air. C'était comme s'il avait montré le vrai Aoki qui dormait sous son regard brillant, sous son sourire naïf et sous ses mots innocents. C'était presque comme s'il avait vu toute son histoire, et c'était troublant. Parce que ça aussi, il en avait honte. C'était lâche de l'éviter. Idiot de partir.
Sursautant sans retenue, il le fixa sans rien dire avant de se pincer les lèvres dans une moue désolée. « J'ai cru que t'étais occupé », dit-il. Occupé, oui, à choisir s'il allait prendre les chips ou non – quelle occupation. Ses pommettes rosirent quelque peu à sa remarque, et il détourna le regard dans une sorte de grimace innocente. « Et peut-être que je le sais et que c'est pour ça que je t'évite », dit-il en le regardant... avant que ses joues ne se mettent à rougir violemment. Il venait de dire quoi ? « Enfin non. Si. Attends », il agita brièvement l'une de ses mains. « C'est pas ce que je voulais dire », il baissa le regard, n'osant plus vraiment croiser celui de son vis-à-vis. « Parce que je veux pas du tout t'éviter hein, au contraire », il releva rapidement le regard, une mine perdue collée au visage – au contraire ? Au contraire !? Il venait de dire quoi encore... « C'est que... ah... », il souffla doucement et s'humecta les lèvres. « Tu me perturbes », et peut-être qu'il devrait arrêter de parler. Oui. Bonne idée.

[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] On n'imaginait sans doute pas grand chose en regardant Aoki. On ne voyait que le gamin qui refusait obstinément de grandir, que l'adolescent qui se cachait dans son regard amusé, que l'adulte qui se terrait dans son sourire espiègle. On ne remarquait rien, ou pas grand chose. On se doutait qu'il avait vécu des choses – tout le monde en avait. On se doutait que sa vie avait dû être difficile, comme tout le monde. On se doutait qu'il avait vu des choses. Mais on ne savait pas quoi, et quelque part, c'était mieux ainsi. Mieux que de se payer tous ces regards de pitié, ou compatissants. Mieux que d'entendre les gens s'excuser à tout bout de champs de peur de l'avoir brusqué, vexé, blessé. Mieux que de les voir le regarder sans trop savoir quoi faire ou quoi dire. C'était mieux, l'ignorance. Et Aoki se disait souvent qu'il aurait préféré tout ignorer lui aussi. Qu'il aurait préféré ne rien savoir, tout oublié. Vivre dans le noir, dans l'inconnu, et ne pas vivre avec ce poids sur les épaules et ces marques sur sa peau. Ou peut-être que ça aurait été mieux de ne pas vivre du tout. Et Aoki ne le disait à personne, ça – à part Snow. Il ne racontait ça à personne. Il ne détaillait à personne. Il ne le montrait à personne. Sauf Je Ha. Quelque part, il était soulagé. Soulagé que quelqu'un ait vu, que quelqu'un sache, que quelqu'un puisse voir sous sa coquille. D'un autre, il était apeuré. Effrayé. Sans trop savoir expliquer pourquoi. Sans trop savoir quoi pointer du doigt. Il avait juste peur, Aoki.

C'était stupide d'avoir peur, étant donné que Je Ha n'était pas le genre à juger. Bien qu'en soit, il le savait bien que ce n'était pas pour ça qu'il avait peur. C'était un peu pour ça qu'il l'avait évité. Qu'il était parti dans l'autre rayon. Parce que Je Ha le perturbait bien trop. Il lui révélait bien trop de choses et il avait peur de ce qu'il avait encore à lui dire. Il lui avait presque tout dit en montrant les marques de ses poignets. Pourtant, il avait encore tellement de choses à dire. Et la crainte de se confier le rongeait doucement.
Hors il avait quelque chose en Je Ha qu'il ne pouvait pas éviter. Quelque chose qui le faisait rester, là, face à lui. Quelque chose qui l'empêchait de partir en courant de l'autre côté. Il ne savait pas quoi, il ne cherchait pas non plus. « C'est pas mon genre de me moquer des gens », il secoua vivement son visage de gauche à droite avant de lui offrir une petite grimace désolée. Parce que bon, oui, il racontait un peu n'importe quoi et c'était un peu comme s'il se moquait de lui. Mais alors juste un petit peu... Les pommettes un brin rosies, il se pinça les lèvres, massant maladroitement sa nuque dans une frimousse embêtée. « Tu me... oui... tu me perturbes », qu'il lui assura dans un petit chuchotement, ses joues s'allumant un peu plus. Ses prunelles se plongèrent dans les siennes et il se racla faiblement la gorge dans l'espoir de... bah lui-même ne savait pas, en fait. « Hum », soupira-t-il, une moue pensive. Ses iris cherchèrent quelque chose sur le visage de l'autre avant qu'il reprenne la parole. Clignant doucement des paupières, il mima un air penaud, le visage basculé sur le côté, cherchant des mots qui ressembleraient quelque peu à une réponse. Sauf qu'il ne répondit rien, se contentant de garder le silence, comme un gamin pris en faute. Il le perturbait dans tous les sens du terme, cela ne se voyait-il pas ? Sans doute que oui. Et sans doute que cela amusait le croupier. Il cligna quelque peu des paupières, son regard restant ancré dans le sien alors que sa bouche susurrait un petit « Oui » comme si c'était la chose la plus normale et logique.
Ses joues s'enflammèrent un peu plus après quelques secondes, et il baissa quelque peu le visage, ses doigts jouant nerveusement entre eux devant lui. « Enfin je veux dire... oui. Si. Enfin... », il se racla une nouvelle fois la gorge, tentant de masquer sa gêne. Il ne pouvait pas cacher la vérité, cela dit. C'était un peu frustrant de savoir mentir sans pouvoir le faire, parfois. Devant Je Ha, il galérait à sortir un mensonge convenable. Il se mordit la lèvre à plusieurs reprises, redressant lentement son visage pour observer celui de son vis-à-vis. Une esquisse fine et légère orna délicatement sa bouche, donnant un côté plus doux à ses pommettes rosies. « Est-ce que... », commença-t-il, hésitant, « Tu as encore beaucoup de trucs à acheter ? », lui demanda-t-il, « On peut continuer ensemble ? »

[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] Pourrait-il le dire un jour à quelqu'un, que parfois – non souvent, il regrettait d'être là ? Pourrait-il se confier, tenter au moins ? Pourrait-il l'avouer à voix haute devant une personne plutôt que simplement devant son chien ? Pour le moment, non. Parce qu'il avait honte, Aoki. Honte d'être là, d'être ce qu'il était. Il avait honte de ce qu'il avait vécu, de ce qu'il avait vu, senti. Il avait honte de respirer. Il avait honte de continuer à vivre. Il ne méritait pas autant que d'autres d'être là. Il ne méritait pas de rire, sourire, marcher, parler. D'autres, qui s'étaient éteints, méritaient nettement plus que lui de faire tout ça. Parce qu'il ne se battait pas pour survivre Aoki. Il suivait le flot, il suivait la marche, il entrait dans le rang. Mais il fuyait à la moindre occasion, il faisait demi-tour dès qu'il le pouvait. Il était lâche, oui, mais il le savait, et ce n'était pas ça qui l'empêchait de dormir la nuit. Ce n'était pas ça qui lui nouait la gorge et lui serrait l'estomac. Ce n'était pas ça qui l'empêchait de respirer, parfois. Et il voudrait le dire, parfois, qu'il n'en avait rien à faire si sa vie devait s'arrêter demain. Cela voulait dire que c'était ainsi, qu'il n'avait plus rien à faire là – même si selon lui il n'avait plus rien à faire là depuis bien plus longtemps. Il ne combattrait pas le destin ou le hasard. Il avait déjà vécu bien trop de choses durant ces vingt-cinq années sur terre, Aoki, et il n'aimerait pas en vivre d'autres encore. Ca avait été assez, et il voulait que cela cesse. Y mettre un point final, pour une fois. Et pourrait-il alors, dire tout cela à quelqu'un un jour ? Pourrait-il dire à quel point il était fatigué, épuisé, par la vie, le destin, les bêtises, les hommes ? Pourrait-il expliquer qu'il avait vécu vingt-cinq années de trop, Aoki ?
Parce que si c'était pour vivre une vie comme la sienne, Aoki préférait ne pas vivre du tout.

Pourrait-il se confier à Je Ha ? Il ne l'avait pas jugé pou ses marques, resterait-il sur la même lancée si Aoki lui dévoilait tout ça ? Ou changerait-il soudainement de discours ? De point de vue ? Lui ferait-il la morale ? Lui donnerait-il une leçon de vie, ou au contraire resterait-il silencieux face à cette révélation ? Resterait-il le même, en sachant tout cela, vis-à-vis de lui ? Tout autant de questions que de réponses. Réponses qu'il craignait avoir, dans le fond.
Les joues empourprées, il s'était simplement contenté de hocher lentement le visage, Aoki. Oui, vraiment. Il ne se moquait de personne. Du moins, pas méchamment. Ni intentionnellement. Sans doute qu'il le faisait, un peu, mais pas du tout avec l'idée en tête de blesser l'autre. C'était plus maladroit qu'autre chose. C'était plus un bouclier qu'autre chose. Les pommettes de plus en plus rosies, il balbutia quelques mots, sans trop en comprendre le sens lui-même, articulant un discret « C'est vrai ? », les yeux brillant, le coin de ses lèvres levé dans une esquisse gênée mais aussi plus que ravie. Ses doigts s'agitèrent faiblement entre eux et il se mordit la lèvre pour contenir le sourire qui menaçait de couler sur sa bouche – mais c'était peine perdue, le sourire était bien là, bien présent, bien voyant. Dans une frimousse contentée, il lui lança une nouvelle esquisse, observant distraitement le rayon dans lequel ils étaient. Il continua ses courses tranquillement, observant Je Ha de temps en temps. « Fatigué mais ça peut aller », il bougea quelque peu les épaules, « Et toi tu vas bien ? », il le détailla un instant, « Tu as prévu quoi après les courses ? J'étais venu pour des pommes mais j'en ai pas encore dans mon panier », fit-il, les sourcils froncés, détaillant le dit panier. « T'aimes bien les pommes ? J'adore les pommes. Enfin j'adore les fruits », il rit quelque peu, clignant des paupières en remarquant qu'il parlait beaucoup pour pas dire grand chose.

[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] Une part de lui était éteinte. Une part de lui était ailleurs, effacée, oubliée. Une part de lui avait disparu à partir du moment où on lui retira sa liberté. Où on le priva de tout. Une part de lui était émiettée, dispersée entre ici et là-bas. Éparpillée entre son passé et son présent. Une part de lui n'existait tout simplement plus. Il avait beau essayer de la chercher, il ne la retrouverait pas. Pourtant, pour le bien de ses frères et de sa mère, il faisait comme si c'était le cas. Il faisait comme si elle était encore là, comme si son âme était entière. Alors qu'il lui en manquait une grande partie. Alors qu'il avait un trou dans le cœur, un trou qui bouffait tout sur son passage, qui aspirait les bonnes choses et qui recrachait amèrement toutes les mauvaises. Il se sentait mal de mentir aux autres, Aoki. Mentir n'était pas quelque chose qu'il appréciait. Cependant il savait que la vérité était bien plus douloureuse aussi. Il savait que la vérité pouvait faire plus de mal à ses proches. Il savait que tout dire pourrait les détruire, et il était hors de question qu'il leur fasse du mal de cette façon. Il préférait se laisser hanter, il préférait laisser ses pensées e bouffer, il préférait mourir plutôt que de tout avouer.

Les sourcils froncés, une légère frimousse insatisfaite modela son visage. Il ne savait pas ? Donc c'était pas vrai ? Donc il ne lui avait pas manqué ? Ses joues se gonflèrent l'espace d'un instant alors qu'il mimait à la perfection un gosse qui boudait en plein milieu d'une allée. Il détourna le regard, les lèvres pincées. Il comprenait, d'un côté, qu'il ait pu ne pas lui manquer. Pourquoi lui aurait-il manquer ? Cela n'avait pas aucun sens pas vrai ? Il bascula sa tête sur le côté, un soupir lent brûlant sa bouche alors que ses iris se détournaient lentement vers le croupier. Il l'observa, en silence, le regard un brin implorant parce qu'il avait presque cru qu'il lui manquait réellement. Il lui avait au moins manqué un petit peu, non ? Juste un peu. Un soupçon de rien du tout. Il laissa cette question de côté quand la voix de Je Ha résonna à nouveau. « Promis », qu'il rétorqua, une esquisse fine aux lèvres. Il promettait d'essayer, au moins. Parce qu'il voudrait bien se reposer convenablement, Aoki. Il en rêvait même. Le coin de ses lèvres se releva légèrement. Esquisse qui s'en alla aussi vite qu'elle était venue pour laisser place à la surprise et à la gêne. Ses joues s’empourprèrent violemment, sa frimousse déteignant dans des couleurs embarrassées. « Que... j'ai... c'est pas... oh », son regard allait et venait un peu partout alors qu'il sentait le rouge frôler sa nuque et ses oreilles, la gêne se répandant sur tout son visage. Il recommençait. Il le perturbait de nouveau. « J'ai pas... c'était juste pour savoir », balbutia-t-il dans un ton bas. Il aurait rien contre rester encore un peu avec lui. Ca le détendait. Mais il n'irait pas forcer sa présence auprès du croupier.

Mouvant les lèvres dans des syllabes silencieuses, il se retrouva soudainement bien con en plus d'avoir encore les pommettes rosies. Un faible « Euh » frôla malgré tout sa bouche, ses paupières clignant doucement alors qu'il fixait le croupier. « T'aimes pas parler de pommes ? », demanda-t-il naïvement, et bêtement. Il devait bien être le seul à apprécier parler des pommes. Ou parler des fruits en général. Aoki dans toute sa splendeur. Il fronça quelque peu les sourcils, perplexe, et se mordit lentement la lèvre. « Tu préfères parler des bananes ? », qu'il l'interrogea en désignant le dit fruit – le pire était sans doute qu'il était sérieux, Aoki. Il bougea maladroitement les épaules, une légère grimace au visage alors qu'il observait les alentours, un peu comme s'il cherchait un sujet de discussion intéressant. Il reposa soudainement son regard sur le croupier. « Oh je me suis fait un tatouage la dernière fois », un sourire grimpa sur sa bouche, « C'était une rose. Elle était jolie », il désigna ses côtes, à l'endroit où il avait son fameux tatouage. Il cligna quelque peu des paupières, l'index toujours pressé sur son flanc, le regard toujours posé sur le visage de Je Ha. « J'ai précisé que c'était pas un vrai, hein ? », la frimousse pensive, il plissa faiblement le nez, « Je voulais juste voir ce que ça faisait. Et ça m'allait plutôt bien, enfin je crois. Mais j'ai peur que ça fasse mal. Ca fait mal ? », il plongea ses iris dans les siens. « Je trouve ça beau les tatouages », qu'il déclara comme simple justification, un sourire satisfait étirant ses lippes. Il était pas sûr que Ryota soit du même avis cela dit.  

[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Aoki appréciait les moments qu'il passait avec Je Ha. Il n'était pas contre l'idée de passer du temps avec lui, même s'il semblait l'éviter parfois. Ce n'était pas méchant. Ce n'était pas contre le croupier. Juste qu'il se sentait un peu embarrassé, l'infirmier. Mais sinon, il adorait passer du temps avec lui. Il ne saurait expliquer pourquoi. Sans doute cette sensation de liberté qui se dégageait de Je Ha. Cette impression d'aucun lien, d'aucune chaîne. Il ne pouvait pas assurer que rien ne le retenait mais il dégageait cela pour lui. Il y avait cette part d'extravagance qu'il appréciait. Cette part de franchise, qui agissait sans aucune honte, sans aucune retenue. Comme si Je Ha n'avait pas de filtres, comme si ses pensées sortaient sans qu'il ne cherche à les retenir. Aoki voudrait parfois avoir cette liberté-là pour exprimer tout ce qu'il avait sur le cœur, sur l'âme. Pour pouvoir se permettre de dire que non, rien n'allait. Que oui, il en avait assez. Que oui, il était épuisé. Que oui, c'était trop lourd à porter. Il voulait parler à quelqu'un de ce qu'il s'était passé, et de tout ce qui avait bercé ses pensées. Il voulait expliquer les raisons de ces marques sur ses poignets. Il voulait tout dire, mais il restait tout le temps silencieux Aoki. Il ne révélait rien, à personne. Il gardait tout sous sceller. Il gardait tout enfermé à double tour et personne n'y avait accès. Personne, à part lui. Et c'était usant... tout comme il se disait que c'était sans doute mieux ainsi. Que c'était mieux que personne ne sache. C'était ce qu'il appréciait chez Je Ha aussi. Il le traitait un peu comme tout le monde. Un peu comme personne. Il n'y avait pas de faux semblants, de faux sourires ou de fausses paroles. Il ne portait pas de gants, Je Ha, pour lui parler. Et avec lui, il n'avait pas la sensation d'être jugé quand il parlait ou quand il agissait. Depuis la dernière fois, cette sensation était plus forte encore, parce que Je Ha n'avait pas tenu le discours auquel il s'était attendu. Il avait simplement accepté, et aujourd'hui encore, il acceptait. Il n'en parlait même pas. C'était comme si le sujet n'avait pas existé. Comme s'il n'avait rien vu. Aoki appréciait cela.

« C'est pas ce que je veux dire », reprit-il, le rouge aux joues. « Enfin c'est pas que je veux pas hein mais ça se fait pas enfin ça se dit pas », il se tortilla brièvement les doigts, les mots lui échappant. Je Ha le perturbait vraiment, et ça, il appréciait moins étrangement. « Ca te ferait plaisir ? C'est vrai ? », il cligna des paupières, le fixant en silence, les lèvres pincées comme s'il hésitait, avant que la gêne ne soit peinte sur son visage et qu'il ne plisse le nez. « On peut... passer la journée ensemble ? Comme ça... on reste ensemble ? », cqfd. Il avait pas inventé la logique, Aoki. Et il était encore en train de chercher comment faire de l'eau chaude, mais il s'en approchait. Il fit une petite grimace incertaine et reporta son attention sur les produits proposés.

« Pourquoi pas ? », qu'il lui rétorqua, candide, le regard perturbé. Ca ne le choquait pas qu'on vienne lui parler de pommes. Un sourire orna sa bouche, le nez un brin plissé alors qu'il hochait la tête. Evidemment, qui pourrait croire qu'il s'en était fait un vrai ? « Ca chatouille ? », demanda-t-il en riant. « Si ça fait que chatouiller ça va. Mais je crains un peu les chatouilles », il fronça quelque peu les sourcils, les lèvres pincées. « Y en a pas un qui t'a fait un peu plus mal que les autres ? », il observa le croupier un instant, curieux. « J'aimerais bien m'en faire un mais Ryota... », il marqua un petit silence, les prunelles rivées dans le vide dans une frimousse boudeuse. « Je suis pas sûr qu'il sera d'accord », il haussa les épaules, ses lèvres arborant à nouveau une esquisse avant qu'il ne pointe les caisses de l'index. « Tu as tout ? »