La vie est si simple pour la plupart des gens. Enfin, tout le monde a son lot de problèmes, mais en général, ils ont tous leurs cinq sens, leur famille, leurs amis, leurs souvenirs… Ils savent qui ils sont, qui ils ont été. Peut-être même ont-ils une idée de qui ils voudront être dans le futur. S’ils ne le savent pas encore, ils peuvent toujours se retourner vers leurs expériences passées pour savoir ce qui a fonctionné ou non. Pas Sang Min. Pas Hideto. Enfin, maintenant, il sait qui il a été. Il a un nom et un prénom, mais ceux-ci sont complètement vides de sens et d’émotions à ses yeux. Combien de fois a-t-il regardé les photographies postées sur les réseaux sociaux, en essayant de se creuser le cerveau défectueux ? Beaucoup trop. Des nuits blanches passées en vain à chercher des souvenirs qui jamais ne lui reviendront. Il se met la pression tout seul, se sentant complètement inutile vis-à-vis de Tomoya qui voulait en savoir plus sur sa famille biologique. Il se sent coupable vis-à-vis Erin qui a ainsi appris qu’elle n’avait pas de liens de sang avec ses parents… L’amnésique meurt de trouille à l’idée de rencontrer cette famille qui l’a élevé, mais dont aucun visage ne lui rappelle quelque chose. Ils verront en lui le fantôme d’un être aimé. Il est possible qu’ils ne l’acceptent pas comme il est aujourd’hui. Se sent-il prêt à se faire rejeter par ces inconnus qu’il a toujours cherché, sans pour autant toujours se l’admettre ? Non. Certainement pas. Pas alors que son nouveau roman sera bientôt publié…

C’est qu’il gère mal la pression, le stress, l’image qu’on lui dit de donner au public. Il a difficilement survécu aux parutions de ses deux premiers livres, alors, la situation actuelle fait peur à ses proches. Il faut se l’admettre.  L’artiste n’a pas l’intention de mettre fin à ses jours, mais qui sait ce que son coeur lui dira demain ? Ou le jour suivant ? Lui-même a conscience de sa forte instabilité émotionnelle et psychologique. C’est pourquoi il ferme son ordinateur portable, détachant finalement ses yeux de ces photos qui ne lui rappellent rien. Un long soupir s’échappe d’entre ses lèvres et il se passe les mains sur le visage. Son coeur est lourd et se serre comme un fou. Sa gorge est nouée et son regard perdu se balade dans la pièce. Celle-ci est pleine de souvenirs, alors pourquoi les photos ne le sont-elles pas ? Elles représentent pourtant des moments qu’il a vécu… Il a besoin de prendre de l’air avant de péter un câble, il le sait, il le sent dans ses entrailles. Ses yeux se perdent trop longtemps à cet endroit où il a essayé de mettre fin à ses jours, la dernière fois. Ça ne lui dit rien qui vaille. Sang Min passe ses doigts sur son cou, sentant encore les cicatrices laissées par la corde qui lui a brûlé la peau en l’écorchant. Éternel rappel de son troisième échec sur la mort. Il ne les a pas caché aujourd’hui, étant resté cloîtré chez lui et n’ayant reçu personne.

Il se lève, traîne les pieds et enfile finalement une écharpe qu’Erin lui a offert. Il tient à ce bout de tissu, il est joli, doux, agréable… et lui rappelle qu’il n’a pas intérêt à retenter de mourir - ou qu’il ne doit pas se rater s’il le fait - puisque la nippone lui fera passer un sale quart d’heure ! Le jeune garçon couvre sa tête d’un bonnet et se met un masque, n’ayant nullement envie d’être reconnu alors qu’il est dans un état pareil. Il se retourne vers l’intérieur de son habitation, sentant toujours le poids de son monde obscur sur ses épaules et hoche la tête, se forçant à détacher son regard des couteaux de cuisine. Il vaut mieux sortir. Chose qu’il fait, sans plus attendre.

À l’extérieur, il ne regarde pas les autres. Il fait toutefois attention à ne frôler personne. C’est comme s’il se croyait empoisonné ou qu’il pensait qu’une personne serait infectée, en le touchant. Il ne veut pas interagir avec les autres, il veut seulement… fuir. Son église, son passé trouble, son présent incertain, son futur inquiétant… Il frissonne à l’idée de rencontrer cette Momoka qui lui a toujours fait peur, mais qui a toujours eu raison sur son identité, finalement. Il pourrait s’évanouir de stress, s’il la croisait, il en est sûr et certain ! Bien qu’il n’adore Erin et Tomoya, il n’a pas vraiment envie de les croiser non plus… Ils pourraient trop bien deviner son état et il n’a pas envie qu’on ne lui remonte les bretelles, en ce moment… Qui plus est, même s’ils n’y sont pour rien, une partie de ses soucis est liée à eux… La culpabilité vient une fois de plus étreindre son coeur, alors qu’il pense cela. Il n’a pas envie de la croiser, mais il a tout de même choisi de porter l’écharpe qu’elle lui a donné pour sentir un peu sa présence. Ironique, n’est-ce pas ? Sa main droite prend doucement un pan du tissu, le relevant jusqu’à ses yeux.

Où est-il ? Il n’a pas vraiment suivi de chemin, il a à peine regarder où il allait… Ah… il est dans ce parc où il avait rencontré Ki Tae. Comme quoi… Il se réfugie toujours ici, quand il ne va pas bien, quand il veut fuir quelque chose. La dernière fois, c’était la culpabilité d’avoir fait mal à Jaehyung… Aujourd’hui, c’est de décevoir Tomoya et de briser la vie d’Erin. Personne ne lui a dit les choses ainsi, mais c’est comme ça qu’il les ressent. L’écharpe se détache des eaux froides de la rivière de par sa couleur, sa texture, sa chaleur… Sang Min se mordille la lèvre inférieure et baisse la tête en soupirant. Une brise légère se lève, gagnant en force, elle vient soulever les pans de son écharpe. Il ne s’en formalise d’abord pas et se rapproche même de l’eau. C’est joli, ça a quelque chose d’apaisant, mais aussi d’épeurant… qui l’attire. La noyade n’a pas bonne réputation, il le sait. En plus, trop de gens pourraient venir à son secours, pensant bien faire… L’amnésique inspire profondément, se décourageant et vient pincer l’arête de son nez, alors qu’il ferme les yeux. Le vent taquin en profite pour se lever et lui voler son écharpe qu’il lance dans l’eau.

Paniqué de sentir le courant d’air frais sur son cou marqué ainsi exposé, il ouvre les yeux et voit avec horreur son écharpe flotter sur l’eau. Peut-être que c’est un signe que la vie lui envoie. Cette fois, il ne se ratera pas ? Ce sera la bonne ? Erin va le tuer si c’est à l’hôpital qu’elle le retrouve… Elle le fera aussi, même si c’est dans l’au-delà qu’ils se revoient, cela dit. Mais c’est l’écharpe qu’elle lui a donné… et le vent l’a jeté à l’eau, donc… la vie et la nippone lui disent qu’il peut partir, l’esprit tranquille ? Plus besoin de se torturer avec ce cerveau brisé et ces émotions qui le troublent trop profondément ? L’eau semble si calme… Peut-être pourrait-elle lui offrir un peu de cette paix intérieure ? La culpabilité, la pression, le stress, la douleur, la sensation de ne pas être entier, de ne pas être vrai, de ne pas être assez bien… de ne pas être la bonne personne… peut-être que la rivière pourrait les prendre en elle, les diluer et bercer le corps qui s’y abandonne. Tout le monde lui dit d’être heureux, alors… ils seront fâchés, mais ils finiront par comprendre et se diront qu’il est finalement en paix, non ?

-« Hey...? Je suis désolé de vous déranger... Je... »

Sang Min sursaute, trébuchant presque, chose qui l’aurait finalement jeté à l’eau… Il se rattrape toutefois, maudissant presque l’équilibre qu’il n’a souvent pas. Alors, pourquoi maintenant ? Le jeune garçon se retourne vers la voix, son regard trahit que son esprit est toujours perdu au loin. Physiquement, il est devant lui. Mentalement… il cherche encore la voie à prendre.

-« Vous allez bien...? Je me suis peut-être inquiété trop vite, mais vous semblez... perdu... »

La culpabilité est la première à revenir le tirailler, s’amusant de sa sensibilité étouffante. Il baisse les yeux, se sentant mal d’avoir réussi à inquiéter un inconnu.

-« ... … … Désolé… » murmura-t-il d’abord, ne sachant pas vraiment quoi répondre.

Les mots « Je vais bien, ne vous inquiétez pas. » refusaient obstinément de franchir ses lèvres. Il se mordilla la lèvre inférieure et frissonna en sentant la brise contre son cou. L’amnésique écarquilla en se rappelant une des utilités de son écharpe : couvrir ses marques, et se dépêcha à relever le col de son manteau pour essayer de les cacher un peu.

-« Je suis toujours perdu… ça fait… cinq ans que je le suis ? » finit-il par ajouter avec un triste rire nerveux.

Bientôt, ça en fera six même, mais ça, il le garde pour lui. Six longues années à se poser des milliers de questions et quand il a enfin la chance d’avoir des réponses, il paralyse. Qu’est-ce qu’il est pathétique…! Il soupire, découragé et se retourne pour s’assurer que son écharpe n’est pas perdue à jamais, elle aussi.

-« Mon écharpe… C’est peut-être mon dernier lien avec elle, donc… je pensais plonger pour aller la chercher… pour ne pas la perdre… » admit-il finalement, mentant à moitié.

Enfin, il est vrai qu’il ne veut pas perdre son écharpe et qu’il voulait aller la chercher, mais ce n’était pas son unique motivation. Erin lui a répété plusieurs fois que la vérité ne changerait pas leur lien, mais le coeur a tendance à changer d’avis. Les histoires ne sont pas toujours simples et qui sait ? Sang Min reste terrifié à l’idée qu’elle ne disparaisse de sa vie, maintenant, donc chaque petites choses qui les unit lui sont importantes.

Un jour, peut-être qu’il comprendra pourquoi tout le monde le menace tout le temps… Enfin, ses proches ne cessent de lui remonter les bretelles et de lui dire qu’ils lui feront toute une scène, s’il ose faire une quatrième atteinte à sa vie. C’est eux qu’il ne suit pas et dont il n’arrive pas à comprendre le sentiment. Le suicidaire est plus que du côté des haters qui l’encouragent à ne pas se rater la prochaine fois ! Il sait qu’ils reviendront à la chasse, bientôt, puisque son quatrième roman sortira sous peu. L’annonce a même été faite ! L’attention revient lentement sur lui, faisant ainsi monter son stress. Il n’en avait toutefois pas besoin pour être dans un état second. Ses histoires personnelles suffisent. Toutes ces années à se demander qui il est et quand on lui offre une réponse, il s’enfonce encore plus dans son mal-être. Bravo champion ! Sang Min se sent coupable pour Tomoya, Erin, cette famille qu’il ne connaît pas… Il se sent aussi ingrat de ne pas réussir à être content d’enfin pouvoir un nom et un prénom sur son propre visage. Enfin, une identité qu’il n’a pas dû choisir lui-même afin de ne pas rester monsieur X… Il peut même retrouver des anecdotes, en relisant les descriptions et commentaires sur les publications des réseaux sociaux. Avec son nom, il a aussi appris l’école qu’il fréquentait et a donc une piste de plus. Il pourrait aller voir s’ils n’ont pas gardé ses affaires, après sa disparition et peut-être en apprendre davantage, recueillir de nouveaux souvenirs qui lui seront toutefois étrangers. Le nippon se sent perdu face à toutes ses possibilités, mais surtout face à son manque d’émotions à propos de celles-ci. Il romançait probablement trop la chose… L’espoir idiot que d’apprendre qui il était stimulerait son cerveau bousillé et que les souvenirs lui reviendraient. Alors que… non. Rien ne semble avoir changé. Il est toujours aussi mal dans sa peau, sinon peut-être même plus.

Sang Min a envie de voir Erin, mais n’est pas certain qu’il y arriverait pour autant. Trouvant un compromis, il a enfilé l’écharpe qu’elle lui a donné… mais la voilà qui flotte sur la rivière. Le suicidaire hésite à prendre cela comme un signe, comme une invitation à se laisser aller, une bonne fois pour toutes. L’eau est glacée, elle l’engourdira, il ne sentira plus rien, il se fera simplement bercer jusqu’à la mer ? Il ne sait pas trop, mais la rivière doit se jeter dans un courant d’eau plus grand, non ? Le courant le portera loin et il n’aura plus conscience de rien, de toutes manières. Le disparu qui disparaîtrait encore. Il ne sait pas si c’est poétique ou redondant ! Ce n’est pas comme s’il avait le temps de se poser la question mille ans, puisqu’un inconnu le tire de ses réflexions. Honteusement coupable d’avoir animé de l’inquiétude chez ce dernier, il s’en excuse. Hide ne cherche pas l’attention, au contraire. En se fondant dans l’eau, il se serait joint au décor et aurait pu passer inaperçu… Enfin, dans son imaginaire, c’est comme ça. Il n’est guère étonnant qu’il ne semble perdu, il l’admet de lui-même, c’est l’histoire de sa vie. L’artiste cherche toutefois à le rassurer, ne lui dévoilant qu’une demie vérité : il regardait son écharpe et hésitait à plonger la chercher.

-« Oh, je peux peut-être vous aider à la récupérer ? »

-« C’est gentil, mais… je ne saurais pas comment… » admet-il avec l’ombre d’un triste sourire.

Il a essayé de sourire afin de chasser les inquiétudes, mais l’esquisse sur ses lèvres est si peu convaincante qu’elle ne doit pas avoir l’effet escompté. Sang Min ne veut pas non plus l’embêter avec ses histoires personnelles, le jeune homme doit avoir mieux à faire ! Mais l’inconnu cherche réellement une solution et en trouve une. Le nippon est surpris et touché que l’autre ne se donne autant de mal pour lui, alors qu’ils ne se connaissent même pas. Il le regarde faire avec curiosité, s’inquiétant toutefois qu’il ne tombe dans l’eau. Il se rapproche et tend la main, au cas où il ait besoin de le rattraper. Malgré ce rapprochement, Hideto a gardé une distance… raisonnable, entre eux. Il n’est pas le plus à l’aise du monde avec les gens, même ceux qui veulent l’aider. Une grimace se dessine sur son visage, déçu que cette bonne idée n’ait pas fonctionné.

-« Hum… Vous pouvez me tenir le bras pendant que j’essaye d’attraper votre écharpe…? »

Son regard descend son bras jusqu’à son poignet, absolument incertain et nullement convaincu par l’idée. Il a l’habitude que les gens soient tactiles avec lui - et il n’est pas à l’aise avec ce fait, la majorité du temps - pas l’inverse.

-« Si vous touchez autre que mon poignet, je vous frappe avec le bâton ! »

-« Mais ! J’ai peur juste de toucher votre poignet ! Alors on oublie le reste ! » admit-il dans un couinement effrayé, en reculant d’un pas.

Le rose lui monte aux joues, gêné d’en avoir autant admis sur son malaise. Il détourne les yeux et se mordille la lèvre. Il n’arrive pas à se résigner à abandonner son écharpe… L’inconnu a tout de même eu une bonne idée.

-« On peut faire le contraire ? Vous me tenez le poignet et seulement le poignet... et moi, j’essaie d’attraper mon écharpe avec le bâton.... ? Après tout, c’est dangereux et c’est pour mon écharpe… alors si quelqu’un doit courir le risque, c’est moi… » proposa-t-il, ramenant un regard hésitant sur l’autre.

Ainsi, l’inconnu serait peut-être plus à l’aise, puisque Sang Min ne le toucherait pas. L’auteur hésitait toutefois, rebuté par l’idée qu’on ne touche sa chair toxique. Mais avait-il le choix ? Il était un poil plus petit que le Coréen, donc si lui n’y arrivait pas seul… le Japonais ne ferait pas mieux. Il tendit la main pour que le jeune homme ne lui donne le bâton.

-« Faisons au plus vite… et si vous sentez que vous glissez, lâchez-moi. Je pensais déjà plonger de toutes manières… Il ne faudrait pas que vous tombiez et que vous n’attrapiez froid. » insista-t-il, sérieusement, avant de se rapprocher du bord et de lui tendre son bras pour qu’il ne le retienne.

Confus et perdu comme toujours, son anxiété en profite pour faire des ravages. Sa santé mentale est toujours aussi instable, certes, mais il ne s’y habitue pas pour autant. Il a l’impression d’avoir des montagnes russes à l’intérieur, qui vont plus souvent dans des profondeurs inconnues, mais tout de même. Il y a cet espoir imbécile que les choses ne s’arrangent, bien présent, lorsqu’il est avec Erin et quelques rares personnes. Son écharpe lui a été offerte par elle et c’est pourquoi il y tient tant. Même si la jeune femme n’est pas physiquement là, il a toujours ce lien avec elle à travers cet objet. Un souffle d’espoir et d’encouragement est tissé dans ses mailles. Il ne sait pas trop si la vie veut lui faire passer un message en lui retirant cet objet précieux ou le mettre à l’épreuve, mais le voilà qui flotte sur l’eau. Dire qu’il pensait lui-même couler au fond de celle-ci et se laisser porter par son courant. Ironique, n’est-ce pas ? Sang Min ne saurait pas comment la récupérer, sans y laisser probablement sa peau. Il sait nager, la rivière n’est sûrement pas si dangereuse. Le problème réside plutôt dans son envie de vivre qui est défaillante. Plonger serait tenter le diable et il en a conscience. L’inconnu semble toutefois être plus dégourdi, trouvant un moyen de rester au sec et de peut-être sauver le précieux de l’auteur. Malheureusement, la réalisation de cet éclair de génie ne se montre pas aussi facile que prévu. Il manque quelques centimètres au Coréen, qui propose donc que le nippon ne lui tienne le poignet afin de combler cette petite carence. Le suicidaire reste hésitant sur ce projet. Oui, il souhaite retrouver son écharpe, mais l’inconnu lui fait peur à le menacer ! Sans parler du fait qu’il est dans un état mental qui laisse à désirer, donc que les contacts physiques le stressent. Particulièrement avec les gens qu’il ne connaît pas. Il en vient à proposer d’inverser les rôles, pensant que le jeune homme sera peut-être plus à l’aise ainsi. Lui-même ne le sera pas, mais il ne l’aurait été dans aucune des options, de toutes manières.

-« D’accord… C’est un peu plus logique dans ce sens, effectivement. »

Sang Min hoche la tête, restant toujours aussi peu enthousiasmé par la suite qui se propose à eux. C’est qu’il se sent bizarre dans sa peau et il a peur que l’inconnu ne soit dégoûté en le touchant. Il est physiquement impossible que sa peau ait réellement la texture qu’il imagine, mais allez dire ça à son cerveau ! Le jeune homme grapille au plus profond de son être pour trouver du courage et se débarrasser de ce moment ingrat.

-« Je vais surtout faire de mon mieux pour éviter de vous lâcher… Ce serait idiot que vous attrapiez froid également. »

Il lance un oeil à son poignet et grimace. Une petite voix lui murmure que l’autre le lâchera, dès qu’il l’effleurera et criera pour une raison ou une autre. Dégoût ? Empoisonnement ? Écoeurement ? Nommez-les, elles passent toutes dans la tête de l’artiste et même celles auxquelles vous ne penserez pas. Ses doigts nerveux passent sur ses poignets, remettant en questions lequel offrir en pâture. Le Japonais inspire profondément, puis se mordille la lèvre en tendant finalement un bras, après s’être rapproché du bord de l’eau. Il fronce le nez, pinçant les lèvres, alors qu’un frisson désagréable lui parcourt la peau en sentant les doigts de l’inconnu enfermer son poignet. Ce n’est pas parce que le jeune homme a les mains froides ou la peau rêche, simplement parce que le contact le stresse. Sang Min s’efforce à le supporter, mais tout semble tourner, une spirale de l’enfer et il peine à se concentrer sur l’écharpe. Il tend son bâton, essaie de s’étirer un peu plus, d’ignorer le bruit des rires, de ne pas voir ces gens qui les pointent. Et si on les prenait en photo ? Si ça se retrouvait sur internet et qu’on le reconnaissait ? Les haters diraient qu’un imbécile a essayé de l’empêcher de faire la chose la plus naturelle : se tuer ? Voilà cette panique si familière qui plante ses griffes dans sa gorge. Les larmes lui montent aux yeux, l’air se fait rare… puis en moins de deux, son pied glisse dans le sol instable. Les doigts qui le dérangeaient tant le lâchent. L’auteur a à peine le temps de fermer les yeux et de ne pas savoir s’il doit prier pour s'empaler sur ce bâton ou non qu’une sensation glacée l’enveloppe. Étonnamment, il remonte à la surface et cherche son air. L’écharpe est tout naturellement revenue sur ses épaules. Il doit être tombé dessus de la bonne manière. Signe qu’il a bien fait de revenir parmi les vivants plutôt que de se laisser sombrer avec les morts ? Il se sent lourd, ses vêtements se gorgeant de l’eau qui veut le garder avec elle. Le froid est désagréable à un niveau qu’il n’a jamais expérimenté auparavant. Et Sang Min est pourtant un habitué de la douleur et des mauvaises expériences. Il recrache d’abord la tasse qu’il a bu, puis toussote et tente de revenir. L’auteur hésite en voyant la main que lui tend l’inconnu, mais il sent ses pieds glisser dans la vase lorsqu’il tente de sortir. Alors il prend donc cette aide tendue. Il est presque hors de l’eau, mais voilà qu’un d’eux glisse de nouveau. Lui-même ne pourrait pas dire s’il s’agit de lui ou de l’autre. Les choses vont tellement vite et le sol est tellement instable. De nouveau, le voilà dans l’eau. L’accueil glacial reste toujours aussi détestable pour lui. Étant plus près du bord, il ne retombe pas aussi profondément que la première fois. C’est déjà ça. Le suicidaire cherche l’autre bras cassé, paniquant un instant à l’idée d’avoir causé la mort ou la blessure grave d’un pauvre inconnu qui voulait l’empêcher de se tuer ! Il est soulagé en posant les yeux sur ce dernier.

-« Je suis profondément désolé ! Ça va aller ? Vous ne vous êtes pas blessé ? » demanda-t-il d’abord, oubliant le froid quelques secondes.

C’est qu’il devra l’aider à sortir si l’autre s’est cassé un truc, non ? Une fois rassuré, l’auteur fait un autre tour avec son écharpe autour de son cou. C’est glacé, c’est déplaisant, c’est mouillé, mais il est hors de questions qu’il ne la perde encore ! Il tente au mieux de sortir de l’eau, sans tomber de nouveau dans celle-ci, puis se retourne pour voir si l’inconnu a réussi à sortir aussi. Si ce n’est pas le cas, il tentera bien sûr de l’aider ! C’est la moindre des choses. La brise vient tout de suite crisper ses vêtements, embrasser sa peau et tenter de le transformer en joli glaçon.

-« Finalement… on va tous les deux attraper froid… » commenta-t-il avec un petit rire découragé. « Vous n’habitez pas trop loin, j’espère ? » demanda-t-il, sentant le dilemme de sa vie le menacer.