Un long soupir de lassitude franchit les lèvres pulpeuses de l'employer qui attendait désespérément la fin de son service. Voilà déjà quelques jours que les clients se faisaient rares, même les habituels ivrognes du coin semblaient avoir fait vœu de sobriété. Rien de vraiment étonnant avec la recrudescence d'incidents impliquant des membres de gangs ainsi que sa propre personne. La dernière fois, Narcisse avait bien failli perdre son travail, heureusement pour lui, le responsable avait un petit faible pour lui, et le petit voyou ne se privait pas, en profitant un maximum.

Deux heures, enfin. Normalement, le tatoué finissait à trois heures, mais aujourd'hui, il avait pris son service plus tôt. Et bordel aucun regret, maintenant restait à trouver quelqu'un qui voudrait bien partager son lit pour la nuit. Une fois son collègue prêt à prendre la relève après une petite discussion concernant l'affluence, ou plutôt, son absence, Narcisse fut prêt à partir.

Sauf que voilà, un groupe d'hommes le suivait de façon très peu discrète. Impossible de rentrer maintenant, ils risqueraient de l'attendre là-bas les jours suivant, ou faire croire à sa mère qu'il baignait encore dans ces histoires de gang. Appeler Ju Han réglerait sans doute le problème, mais le tatoué ne pouvait pas non plus laisser les autres lui sauver les fesses à chaque fois. Alors, il leur fit face, en reconnaissant un dans le lot. Un râle ennuyé lui échappa.

-Encore toi ? T'es bouché ou quoi ? J'vais pas rejoindre ton groupe. Non. J'me tire.

Couper la parole à quelqu'un qui avait sans doute déjà tué n'était pas nécessairement une bonne idée, lui tourner le dos non plus. Lui mettre un coup de coude en plein dans le nez pour qu'il le lâche encore moins. Voilà, monsieur le gosse de riche fumait de rage, et Narcisse filait à toute vitesse pour échapper au molosse lancé à ses trousses. Heureusement pour ses petites fesses, il connaissait le coin comme sa poche, et, malgré quelques glissades pas vraiment contrôlées à cause du gravier glissant, le tatoué parvint à semer son poursuivant.

Le front appuyé contre la vitre du métro, le métis prit temps de reprendre son souffle, et quand l'adrénaline le quitta, un petit sanglot se coinça dans sa gorge. Sur le coup, il n'y avait prêté attention, mais maintenant que son t-shirt collait dessus, Narcisse pouvait clairement le sentir, il s'était pas raté. Pas le choix, rentrer comme ça risquerait d'alerter Dak Oh, et donc sa mère par la suite, le blessé envoya un message à Sae Jun, un mec sympa rencontré dans des circonstances encore embrumées par l'alcool. Toujours était-il que c'était lui qui soignait ses petits bobos.

Heureux de voir son aîné, Narci ne put s'empêcher de lâcher un "Junie !" enjoué. Sans doute un poil trop fort. Oups ? Un sourire coupable prit place sur sa frimousse de faux voyou alors qu'il suivait le maître des lieux de très près. Une fois à l'intérieur, il ne perdit pas une seconde pour retirer ses chaussures et son t-shirt pendant que son sauveur, enfin, tortionnaire pour les minutes à venir, allait chercher le nécessaire à la salle de bain. Une plainte se fit tout de même entendre à cause du tissu qui avait eu le temps de coller à peau abîmée.

-J'ai glissé.

Inutile de rentrer dans les détails, d'une part, parce que c'était toujours la même histoire, et ensuite, hors de question de mêler le jeune homme à ses problèmes plus que nécessaire. Manquerait plus que ces enfoirés le prennent pour cible. Assis en tailleurs sur le lit de son hôte, Narcisse tendit sagement ses mains égratignées, se concentrant sur tout sauf l'idée de la pince approchant sa peau. Ici, le magnifique short de pyjama à carreaux. Raté, le soit disant jeune adulte lâcha un couinement misérable.

-Gnagnagna ya des adultes moins courageux aussi et on en parle pas.

Le voilà à lâcher un grognement boudeur et à rouler les yeux comme une diva, s'adosser au mur et essayer de croiser ses bras contre son torse, mais vite regretter à en juger la plainte qu'il laissa échapper. Finalement, il se redressa pour tendre de nouveau ses mains, l'air de vraiment appréhender.

-Juste..Soigne-moi s'il te plaît..

Cette fois, aucun son ne se fit entendre de la part de Narcisse qui se mordait la lèvre pour ne pas faire de bruit, mais son regard brillant ne trompait personne, il n'aimait pas ça. Il n'aimait pas avoir mal. Lorsque ses mains furent soignées, le tatoué planta ses prunelles humides dans celles de son aîné. De toute évidence, il était vraiment crevé, et l'idée de devoir rentrer après les soins ne lui faisait absolument pas envie.

-Je peux dormir ici cette nuit, s'il te plaît ?

En dehors de la fatigue, les chances pour que les mecs de tout à l'heure soient encore en train de le chercher étaient grandes, trop même. Dans cet état, le métis ne risquait pas de les semer une nouvelle fois.

Honnêtement, les soins n'avaient pas pris si longtemps que ça, mais pour Narcisse qui se faisait violence pour ne pas exprimer verbalement sa douleur et surtout, pour ne pas fondre en larmes, ça avait parut interminable. Pourquoi ces gens revenaient toujours alors que lui, ne voulait pas rejoindre leur monde ? Tout ce que lui, voulait, c'était être quelqu'un de bien pour rendre sa mère fière, et pouvoir vivre sa passion sans regarder par-dessus son épaule en espérant que personne ne soit en train de le suivre. Heureusement, Ju Han aidait pas mal en faisant fuir ceux qui avaient des choses à se reprocher pendant ses patrouilles dans le quartier, et puis, il avait des personnes de confiance chez qui passer la nuit si rentrer chez lui n'était pas une option. Junie, bien entendu, fallait savoir mater le spécimen pour pouvoir le soigner, et, le presque médecin savait se montrer patient comble pour un personnel soignant hein ? avec lui. Puis, il y avait Love aussi. Ah..Love..Impossible de savoir si c'était un ange envoyé par les Cieux pour le garder sur le droit chemin ou justement, un démon venu des profondeurs de l'Enfer pour le torturer mentalement.

-Merci..Hein ? Non non ! Je dors sur le matelas, garde le lit !

Incapable d'obéir sagement, le cadet se leva pour rester aux côtés de son aîné. Comme ça, on pourrait facilement le prendre pour un de ces chiots perdus refusant de rester seuls même quelques minutes..Et c'était un peu le cas, mais ça ferait beaucoup trop de mal à son orgueil de l'admettre, alors il mettait ça sur le compte de la curiosité. Ses prunelles se mirent d'ailleurs à briller d'excitation en voyant le mug de chocolat chaud finir dans ses mains bandées. La chaleur apaisait étrangement la sensation de picotement causée par les blessures, le poussant à soupirer de bonheur.

-Merci !

Impatient, Narcisse voulut goûter au délice sucré sans attendre, mais regretta bien vite en sentant le liquide chaud brûler sa langue, un petit couinement douloureux lui échappa même sous la surprise. Couinement qu'il prit la peine de prolonger comme pour exprimer son contentement. Bon, c'était pas dur, parce que malgré la température élevée, le goût du chocolat lui faisait beaucoup de bien. De nouveau assis sur le lit, il ne put qu'adresser un sourire amusé à son aîné lorsque celui-ci lui informa de la démarche à suivre si ses parents venaient à rentrer avant qu'il ne soit parti. C'était dans ses cordes, mais, ça restait quand même un comble pour quelqu'un qui souhaitait sauver la vie des gens de demande à un patient de faire le mort.

-Je serai parti à sept heures, sept heures trente max, t'inquiète pas.

Même si ils n'en avaient pas vraiment discuté, le métis se doutait bien que ça devait être tendu entre Sae Jun et ses parents pour qu'il prenne autant de précautions. Le cadet hocha simplement la tête pour assurer à son aîné que, oui, il allait faire attention à suivre ses recommandations, après tout, c'était dans son intérêt. La question suivante aussi, avait pour but de l'aider, mais ça ne l'empêcha pas de se crisper en l'entendant.

-J'ai vraiment glissé.

Puisqu'il ne mentait pas, Narcisse n'eut aucun mal à le dire en regardant le presque médecin dans les yeux. Lui-même lâcha un soupire après cette réponse vague, la situation l'épuisait.

-J'ai glissé en jouant à chat avec des méchants.

La tête appuyée contre le mur, ses iris sombres tournés vers le plafond, le jeune homme ne voulait pas affronter le regard de son aîné. Et si il le mettait à la porte ? Ou cherchait à le dénoncer à la police ? Bon, il n'avait rien à se reprocher, mais quand même..Aux gens qui voulaient le forcer à rejoindre leurs rangs alors ? Sans s'en rendre compte, le métis avait fermé les yeux et retenait son souffle en attendant une réponse de la part de Sae Jun.